Regard sur l’image

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- Du modèle au modelé

,  par Hervé BERNARD dit RVB

« A tant d’années de là, quand il rêverait sur la nudité de Bethsabée, il sentirait bien que son appétit était resté entier. Il aurait pu remonter plus haut dans le temps, s’enfoncer plus loin. Jusque dans les commencements et jusque dans les origines. Il y avait une faille toujours ouverte, assurément antérieure à la naissance et à la création : l’instance d’un désir infini d’où l’être était issu et dont il portait en lui la blessure. De là cette passion des formes, qui s’imposait sans relâche comme la loi et le principe de la sensibilité. Il arrivait alors, comme généré par des réminiscences insondables, que le pur désir sans objet, celui qui travaille tout désir en son fond, se fixât sur une forme élue au-dessus de toute forme pour s’y arrêter durablement en sorte que, devant son évidence radieuse, le ravissement ne cesse jamais. Ici, en vérité, se déploie, à l’aune d’une existence parmi les autres mais en sa toute singularité, le mystère de Bethsabée. La femme qui posa, appelée par le Maître à jouer le simulacre de l’amante du roi David, était elle-même l’amante de Rembrandt. C’était une fille du Nord, de la lointaine et quasi mythique Noordstrand, terre d’aberrations religieuses et de délires sacrés. On la voit bien en chair, solidement assise, les cuisses fortes, les seins gonflés. Une douceur essentielle, légèrement voilée de mélancolie, imprègne son visage. Elle n’est pas Bethsabée, elle ne saurait l’être, même si, dans son imagination fertile, elle éprouve le sentiment de s’en approcher et même de la rejoindre, par-delà le temps et par-delà les mots du texte biblique. En vérité, elle est et ne peut être qu’Hendrickje – et encore son apparence ou figure est-elle pure œuvre du peintre. Hendrickje présente par la forme que Rembrandt lui a rendue, n’existe plus qu’ici, dans l’espace du tableau. Ce qu’elle était, tandis que le Maître l’aimait, la désirait, ôtait ses vêtements, l’installait pour la pose– ce fut, en vérité, ce qu’elle fut. Il n’en est trace nulle part. Hendrickje est abolie dans un ailleurs indécis et illimité, dont la prose s’est éprise, en mal de féminité comme d’une :princesse lointaine, et là, ici-même, s’applique, de rêve en rêverie, à la créer.

Bethsabée lisant la lettre de David, Rembrandt

[...] Face à la toile, Rembrandt ne jetait plus un seul regard sur Hendrickje. Le corps de l’amante se tenait à distance, sur l’autre bord du temps. Amoureusement, sans avoir eu à le toucher, l’homme l’avait pénétré, il l’avait, d’un coup d’œil, étreint jusqu’à l’être et, maintenant, c’était lui qui était possédé et seul à pouvoir projeter sur la toile l’image qui le comblait. Il n’avait pas besoin de voir par-delà son chevalet. Il portait en lui la forme d’Hendrickje. Elle lui appartenait. Il en disposait à son goût. Il la tenait entièrement dans l’espace de l’intériorité et l’amenait au jour, entre lumière et ombre, comme à la vérité accomplie de son être. Pour tout dire, l’image qui habitait en lui et le peuplait excédait tout caractère d’objectivité. Elle était comme infuse, comme immanente, et appartenait aux sources, aux origines, comme le reflet ou rappel d’une féminité antérieure à la division et à l’histoire, telle que l’amour l’a réveillée et qu’elle sourit à la lumière.

[...] L’esprit de Noordstrand souillait à travers elle, et la mélancolie archaïque du paysage de brume et d’eau entrait dans l’intimité des êtres et leur dispensait une lucidité surnaturelle. Ils voyaient l’invisible et entendaient l’inaudible et tout ce qu’ils voyaient et entendaient les amenait l’un à l’autre. Dès lors, le visage sur la toile procédait de ce fond de participation. »

Extraits de Bethsabée, au clair comme à l’obscur
par Claude Louis-Combet
Éditions Corti, domaine français

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Regard sur l’image,
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350 pages, 150 illustrations, impression couleur, format : 21 x 28 cm,
France Métropolitaine : prix net 47,50 € TTC frais d’expédition inclus,
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EAN 13 ou ISBN 9 78953 66590 12,
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