« Je demanderais que ce titre soit compris littéralement, car dans le domaine vaste et plutôt facile des correspondances, tout le monde a entendu parler de la mélodie du trait de Botticelli ou des accords vaporeux de Claude Monet. Je me réfère ici quelque chose de concret, à la difficulté réelle que me pose la peinture quand à bon droit je m’efforce de l’écouter en partant du principe réciproque que la musique nous dessine sans effort un arbre dans l’oreille, comme celle d’Orphée dans le sonnet de Rilke. Ainsi, quand j’écoute I’improvisation de Charlie Parker dans “ Out of Nowhere ”, je vois distinctement les coups de pinceau que dessine la mélodie, et le résultat est une grande fenêtre orange où de petits nuages vont et viennent comme des ballons. Une sorte de Magritte mais bondissant, vous imaginez ça ? »
« En vertu de cette très limpide translation, pourquoi n’ai-je jusqu’à présent jamais écouté un dessin ou une peinture ? Je parle, bien sûr, de mes difficultés à moi, peut-être que quelqu’un me fera-t-il un jour parvenir une musique qu’il a perçue en regardant ce livre. Je ne serais pas surpris qu’elle soit plutôt percussionnante, très Max Roach, avec des explosions du côté des cymbales, en tout cas pleine de ce swing qui, chez Saura n’a pas besoin du son pour nous frôler le visage de ses splendides balais. »
Territoires, Lot de dix griffouillages à profiter,
Extrait de Nouvelles, histoires et autres contes de Julio Cortázar,
collection Quarto, Gallimard
Du même auteur, voir aussi :
- Point de vue sur le monde