Quand le mélange de la technique et de la composition permet de créer des histoires....
Savoir tout photographier, janvier 2013
Par Hervé Bernard
La tradition de la peinture occidentale, depuis le Moyen Âge, s’est notamment construite autour de la nature morte. Dans cet article, nous tenterons de comprendre comment la technique, en photographie comme en peinture, est le premier outil pour donner du sens à une image. Ensuite, nous verrons comment elle s’associe à la composition dans ce processus de création du sens.
Auparavant, je souhaiterais revenir sur le terme de nature morte, intimement lié à la création du genre. En effet, ce genre d’image, en anglais ou en français, est défini par deux termes opposés : still life et nature morte. Le premier parle d’un assemblage d’objets encore vivants tandis que le second évoque une mise en scène d’objets déjà « décédés ». Toute une vision de la vie se résume dans ces deux mots. Dans le premier cas, les objets sont des choses encore ou toujours en vie. Certes, ils ne sont pas ou plus pleinement vivants, mais cet « encore » laisse beaucoup plus d’espoir que la « nature morte » française qui condamne les objets à n’être (naître) que de pauvres choses inanimées... Cette question est centrale au genre, à tel point que l’une des installations de Salvador Dali est intitulée « Nature morte vivante » (Salvador Dali Museum de St Petersburg, en Floride, États-Unis).
Quoi et comment
Composer une nature morte, comme pour toute création, demande de savoir prendre son temps. Pour collecter les objets qui vont la composer, pour mettre en place les éclairages, pour chercher le bon angle de prise de vue ... En fait, ce genre de peinture, quand il est mis en place par l’artiste, est l’un des ancêtres de l’installation. Cependant, en photographie, il existe un autre type de nature morte, celle que l’on trouve composée par la nature ou par la vie urbaine. La nature morte nécessite de savoir garder l’œil ouvert tout au long de nos pérégrinations, non seulement pour ramasser des objets mais aussi pour collecter les « natures mortes prêtes à l’emploi ».
Outre le casting des objets, qui dépendra du sujet traité et de l’ambiance souhaitée, le premier choix technique à faire est celui du format de l’appareil photographique ; ce choix va déterminer la composition. Certains photographes travaillent différemment, ils composent leur nature morte et ils choisissent le format du boîtier en fonction de la composition. Pour ma part, je procède par allers-retours. C’est-à-dire que je commence par assembler les objets puis, à un moment donné, je pose mon boîtier sur un pied, cadre une première fois, déplace de nouveau les objets, et ainsi de suite jusqu’à obtenir un résultat satisfaisant. À ce stade, je pose la lumière, en général au moins deux mandarines (projecteurs tungstène de 500 W équipés de volets) qui produisent un éclairage plus enveloppant, plus doux que les flashs ou les HMI.
Le fond est un élément essentiel, il participe à l’ambiance, une nature morte inspirée de la peinture hollandaise avec en arrière-plan un mur de béton et des objets posés sur une vitre produira une image différente si elle est installée sur un velours noir. Une nature morte est une association d’objets qui forment un contexte et le fond en est un élément essentiel non seulement par ses propriétés graphiques : plis, trace dans la matière du fond ... , mais aussi par ses propriétés de réflectance. Une très forte réflectance produira une lumière plus enveloppante tandis qu’un fond sombre facilitera la réalisation de clairs-obscurs. À propos de la réflectance et des fonds blancs ou très clairs, ils produisent parfois un halo qui réduit le contraste de l’ensemble de la photographie et provoque une perte de définition subjective. Dans Camera Raw et Lightroom, la fonction Clarté est très efficace pour atténuer ce défaut et ses conséquences sur le piqué. Par contre, en lui donnant une valeur négative, on obtient un effet de flou similaire à celui produit par un bas de Nylon devant l’objectif ou encore par le filtre soften, mais ici cet effet devient paramétrable et c’est important car, selon le support papier et le format du tirage final, ces paramètres peuvent varier subtilement.
Liée elle aussi au couple lumière ambiante/sensibilité du capteur, la profondeur de champ joue sur l’étendue de la zone de netteté de l’image et donc sur la composition. Ce jeu est une autre méthode pour inclure un élément dans une image ou l’en exclure. Cette fois-ci, contrairement au cadrage, on rejette ce qui est dans l’image en l’incluant dans la zone de flou. Plus nuancé et paramétrable, le rejet du flou de la profondeur de champ crée des dynamiques qui ne prennent pas le pas sur les objets. Ce jeu sur la profondeur de champ est essentiel. Certains considèrent qu’il faut montrer la réalité, rien que la réalité, tandis que pour d’autres, le flou de la faible profondeur de champ dissimule les effets de décor et de machinerie pour concentrer le regard sur le sujet principal. En fait, nous avons là deux méthodes de mise en scène communes à la photographie et au cinéma. La faible profondeur de champ a une tendance à décontextualiser le sujet et donc à l’isoler en faisant disparaître l’arrière-plan, tandis qu’une grande profondeur de champ le met en situation, le présente dans son contexte.
L’autre paramètre de la profondeur de champ est le choix de la focale. Plus l’optique a un champ visuel large (grand-angle), plus la profondeur de champ sera grande par rapport à une optique à champ visuel étroit (téléobjectif) et à diaphragme égal. Outre cette influence sur la profondeur de champ, le choix entre ces deux types d’optique va, dans le premier cas, accentuer les fuyantes et l’importance subjective des premiers plans, tandis que dans le second cas les perspectives seront écrasée et la distance subjective entre les plans sera réduite. On pourra ainsi réer des dynamiques
utiles à la composition.
Dans cet article, j’ai abordé la nature morte au sens le plus classique du terme. Cependant, même en se cantonnant aux techniques photographiques, les terrains d’exploration, comme le montre cette recherche personnelle, sont vastes. Pour ce type d’image, je ramasse des photographies d’objets qui me suggèrent une idée en s’associant avec d’autres objets en stock. Enfin, si je n’ai pas abordé le sens que certains donnent aux couleurs ou encore au contraste, c’est parce que les couleurs ont toutes, simultanément, une signification positive et négative. Traiter ce sujet demanderait un développement impossible dans l’espace imparti. Vous trouverez un long développement sur ce thème notamment dans la rubrique « La couleur ailleurs » de Regard sur l’image en vente sur le site du même nom.....
– Regard sur l’image, un ouvrage sur les liens entre l’image et le réel.
350 pages, 150 illustrations, impression couleur, Format : 21 x 28 cm,
EAN 13 ou ISBN 9 78953 66590 12,
Pour acquérir cet ouvrage dans la boutique.