Regard sur l’image
« Aujourd’hui, le magistrat cherchait des photos. Il n’en a trouvé ni chez moi ni dans mon téléphone. Celles de mon passé n’existent pas et les rares photos de mes parents ont été saisies au temps des perquisitions et des arrestations de masse. Elles ont été perdues.
Celles de toi et moi, je les ai tirées et effacées ensuite de mon téléphone. Je les ai cachées. Personne ne doit me prendre celles de nous deux.
J’ai dit au magistrat que je n’aimais pas les visages qui sourient dans le vide sur les photos. Ce n’est pas vrai. Ton visage me sourit même quand il est sérieux. Ton visage émet de la lumière même dans le noir.
Je t’ai tenue à l’écart des questions et des perquisitions. Sur les photos du début du XXe siècle les visages ne sourient pas. Ils sont comme rengorgés et aussi effrayés qu’on prenne leur portrait. Quand apparaissent les sourires sur les photos ? Quand devient-on des sujets désinvoltes ? Avec les affiches de cinéma, pour imiter les acteurs ? Drôles de questions, je te les pose, peut-être sauras-tu y répondre. »
extrait de Impossible, de Erri de Luca, ed Gallimard nrf, p 134