« Firmin Quintrat (1902-1958) prit, en 1929, à l’âge de vingt-sept ans, la décision de dépenser les années qu’il lui serait encore donné de vivre à REGARDER le plus grand nombre possible de ses contemporains.
Il parcourut le monde, les continents et, sans souci d’exhaustivité, sans fantasmer un regard total sur sa planète, il visita les villages, traversa les faubourgs, s’arrêta aux carrefours des grandes villes et consacra quelques secondes à tous les visages qui se présentaient à lui.
Il ne tint pas les comptes de ses rencontres, pas plus qu’il ne confia ses émotions à un journal. Ses yeux furent ses seuls acolytes.
Il n’ignora pas qu’on pût rire de son projet, lequel, effectivement, prêtait le flanc à des interprétations risibles : croisade humaniste, arpentage du monde par amour du genre humain, hymne de miséricorde psalmodié à l’échelle d’une existence.
Non, Firmin Quintrat ne fut pas un ange de charité et de partage, sa bonne parole n’eut jamais de sujet.
Il a toujours envisagé ce qu’il appelait sa "COLLECTION DE CONTEMPORAIN ", comme un défi logique, une opération algébrique, une œuvre aussi.
" Mon œuvre, écrivit-il à son frère, puisque je suis artiste, ce ne seront pas des aquarelles, des eaux-fortes, des bronzes, des poèmes, ce seront mes YEUX, qu’il vous faudra exposer sous un globe de verre, les yeux de l’homme qui aura vu le plus d’hommes dans sa vie. L’humanité se sera imprimée sur leurs rétines. Ces yeux, il ne faudra plus les envisager comme des outils, ils seront devenus des sommes, des archives, une collection unique."
Il fut naïf à sa manière, libre, et pour tout dire heureux, un artiste sans œuvres. »
Jean-Yves Jouannais, Artistes sans oeuvres 1997.