John Batho, à la recherche de la couleur. [1]
John Batho est un photographe connu pour l’exigence de sa recherche. Il utilise la photographie pour ses qualités plastiques. De là l’intérêt qu’il porte aux supports de la photographie en couleur depuis de nombreuses années. Pour ceux qui ne le connaissent pas, son travail est à l’opposé du travail instinctif, comme les quelques images qui accompagnent cette article le montre. En collaboration avec le laboratoire Picto, il a eu la possibilité d’explorer le tirage numérique sur les imprimantes à jet d’encre Iris de Scitex.
Tout a commencé par son désir d’explorer un nouvel outil, démarche familière puisqu’il utilise déjà différents supports comme l’Ilfochrome (Cibachrome) ou encore le tirage Fresson. John Batho a donc profité d’une opportunité d’exploration d’une technologie totalement nouvelle pour lui en tirant parti de l’offre de Monique Plomb [2] et Michel Vaissaud (directeur technique). Dès le départ, la position de John Batho était claire. Il ne voulait pas s’initier à la prise de vue numérique pas plus qu’à l’art du scanne ou encore à l’utilisation d’un logiciel comme Photoshop. Sa position devait rester la même que par le passé. Son interlocuteur à Picto se devait d’endosser le même rôle que celui de Fresson ou de Roland Dufaud et par conséquent comprendre les désirs de l’auteur. Il considère donc le numérique comme un moyen de matérialisation de l’image au même titre que l’Ilfochrome ou le tirage Fresson. Pour John Batho, c’est donc bien un outil et non un but.
Couleur et support
Le premier avantage de cet outil est d’échapper au support photographique et d’accéder ainsi à une nouvelle restitution à une nouvelle perception de l’image. Ce qui est déjà en partie le cas du tirage Fresson qui utilise comme support le papier à dessin. Ce travail sur de nouveaux supports permet donc de poursuivre la question de la couleur, interrogation essentielle de son œuvre. Ainsi, à travers ce travail sur le substrat, il sonde la relation de dépendance entre la couleur et son support. Dans le cas de la série des papiers froissés monochromes. Il s’agit bien de matière et de lumière, il y a une mise en abîme avec l’utilisation d’un papier pour présenter un papier froissé. Grâce à John Batho, l’image possède donc une plus grande “crédibilité”.
L’autre limite donnée à cette expérience était d’écarter un usage abusif de la retouche qui éloigne le caractère “immédiat” de l’image. Comme il le dit, « J’ai voulu éviter cet écart entre la photo et le tirage en conservant ce qui fait la nature de la photographie. J’ai donc corrigé des dominantes, des aberrations de l’émulsion mais je n’ai pas effacé une pliure d’un un papier froissé. En effet, la photo se fait dans l’instant et la lumière et je la trouve satisfaisante en cela. Si ce n’est pas le cas, je l’écarte. » Paradoxalement, John Batho a besoin du côté instantané de la photographie puisqu’il travaille sur l’essence de la photographie. Il reconnait aussi que s’il travaillait sur le contenu de la photo, il aurait probablement moins de réticence à intervenir avec Photoshop.
Par conséquent, sa position est la suivante : « le procédé Iris est une interprétation de l’image ». Là réside l’explication de son refus à dire qu’il n’utilisera plus les autres techniques de tirage. Ainsi, le tirage Fresson a un air de famille avec certains supports de l’Iris. Cependant, l’un est à base de pigment l’autre à base d’encre. Le grain du pigment n’a pas le même rendu que l’encre. Le tirage Fresson donne une irisation, qui résulte du pigment retenu à la surface du papier par une mince couche de gélatine, alors que l’encre du procédé Iris pénètre la fibre et sature en surface le papier avec précision. Il y a une présence particulière de l’encre de cette gamme d’imprimantes à jet d’encre qui laisse un effet tactile inexistant sur un support photo. Cet effet est tellement important pour John Batho qu’il parle de touché de la couleur. Il s’agit là pour lui de synesthésie. Cette sensation est particulière à chaque support de la photographie. Ce qui lui fait penser que tous les procédés ont un intérêt. La question essentielle pour John Batho est : « Comment faire d’une image quelque chose qui aille au-delà de la représentation ? » À son avis, le support a son rôle à jouer dans cette question. D’où ce désir d’explorer différents supports.
Cependant, un procédé n’est pas préférable à l’autre. Tous les procédés sont intéressants. Un support correspond à une adéquation avec un contexte de prise de vue. Et créer, pour John Batho c’est choisir le moyen le plus adéquat avec une création. Lors de cette interview, John Batho considérait qu’il n’avait pas encore tiré tous les éléments de cette expérience parce que la majorité des photos utilisées n’avaient pas été pensées pour cette outil à l’exception de l’autoportrait du carton d’invitation de l’exposition de Picto Bastille. Cependant, pour cette image, John Batho fidèle à sa politique a tout réalisé lors de la prise de vue.
Selon John Batho, l’absorption des encres en fonction des supports choisis pour l’Iris est la chose la plus difficile à maîtriser et il lui apparaît clairement qu’il faut un fichier par support. L’intérêt de cette technique c’est le contrôle des teintes et des contrastes de manière plus fine plus précise que dans la photographie traditionnelle. Ainsi, il a pu non seulement mettre au point les teintes et les contrastes des cartons blancs mais aussi travailler sur la présence de l’ombre dans son autoportrait ce qui est très difficile avec le tirage argentique.
Couleur et lumière
Le sujet de cette exposition c’est la lumière. Ces quatre séries sont choisies parce qu’elles vont ensemble et parce qu’elles parlent de la lumière et de la matière. Une préoccupation très ancienne que l’on retrouvait déjà au sein de sa série de tentes sur les plages. Ainsi, pour la série des surfaces réfléchissantes (les carrés blancs) John Batho les a baptisées "surfaces sensibles" en référence à leur sensibilité à la couleur de la lumière mais aussi en référence au processus photographique. De même, pour la série des papiers, il dit « Je suis complètement devant ce froissement, devant la présence du papier, dans la restitution de la matière pour en extraire l’essentiel. » Ce travail se situe autour du mystère de l’inscription qui se fait dans l’instant, sur l’absence du geste, le refus de l’implication. D’autres ont travaillé notamment dans la peinture sur des sujets comme le papier froissé, mais ce travail manifeste l’empreinte photographique.
Les papiers froissés de John Batho interrogent le statut de la représentation, l’acte de photographier dépouillé de toute intention si ce n’est celle de reproduire et de comprendre pourquoi le résultat obtenu est plus intéressant que l’objet. Pour John Batho, c’est la photo qui dilate son sujet, elle fait effet de désignation et de loupe. Elle pose aussi la question du fond blanc et de la confusion entre le blanc du fond sur lequel est posé l’objet photographié avec celui du blanc du papier support du tirage qui lui pourrait être infini. Où se situe alors la limite ? Et là, il devient intéressant de savoir que cette série est née d’un papier froissé vu sur la neige.
A notre sens, l’une des problématique de l’œuvre de John Batho est d’être à l’intersection de la photographie et de la peinture. Ce qui est cohérent pour une œuvre qui a notamment pour volonté de s’interroger sur l’essence de la photographie. D’ailleurs, selon John Batho, le numérique réveille cette interrogation sur la nature de la photographie et les chose deviennent plus évidentes. Ainsi, si cette technique bouleverse le statut de l’image, elle valorise également le « ça a été de la photo, son côté buvard de la réalité, sa singularité. » Ce qui permettra de mieux faire comprendre les enjeux et la qualité de l’image photochimique. Enfin, cette collaboration avec Picto sur l’image numérique, comme le dit John Batho, lui permet de se situer dans notre époque.
© Hervé BERNARD 1997