Température de couleur et symboliques des couleurs
Langage, mythologie et références
À l’observation, ce schéma nous oblige de constater que celui-ci va à l’encontre de la sagesse populaire En effet, la dite sagesse affirme que le bleu est froid et le rouge chaud. Celle-ci brouterait-elle dans les pâturages de l’erreur ?
Diantre ! aurait-elle fait preuve d’un crucial manque d’attention. Que nenni, sa perspicace sagacité n’est point remise en cause. Mais, comme à l’accoutumé, son observation est contextuelle et ne peut donc être créditée de cette universalité qui lui est généralement reconnue.
1 Un problème de robinet
Les indications données par les mitigeurs de nos salles de bains et par les robinets de nos cuisines sont la preuve que nous sommes restés des Hommes primitifs. En effet, ces indications démontrent que nous croyons toujours que la plus forte chaleur que nous puissions affronter est celle du feu de bois. Pourtant, depuis bien longtemps, au moins depuis que le gaz a remplacé le charbon de bois et le bois sur et dans nos cuisinières, nous savons par expérience que la flamme la plus chaude est la bleue. La flamme bleue signifie que la combustion est complète, sans formation de suie. D’où nous vient alors cette croyance en ce bleu-froid ? Et pourquoi reste-t-elle aussi prégnante ?
Et, là encore, avec une autre expression de son cru, la sagesse populaire nous apporte une potentielle réponse. Celle-ci dit, d’une personne qui vient d’endurer une extrême froidure, qu’elle est bleuie par le froid. Le bleu correspondrait donc bien au froid mais, plutôt, à celui du corps humain qu’à celui de la flamme. Surgit alors une question.
Et si le rouge de la chaleur, ne correspondait pas, lui non plus, à la flamme pour correspondre, lui aussi, à la couleur de la peau humaine qui a chaud ou qui se réchauffe. Cette couleur rouge est aussi celle des reflets des couleurs du dit feu de bois sur un visage. À moins que ce rouge ne représente tout simplement le danger de chaleurs intenses. Cependant, pour les motifs énoncés précédemment, nous évincerons cette réponse.
2 La solution serait-elle dans les étoiles ?
Quant aux scientifiques, pour eux, les choses sont claires et cohérentes, les naines rouge-orangées sont bien les étoiles les plus froides et leur rayonnement se situe bien dans un spectre identique à celui indiqué par ce schéma ; tandis que les géantes bleues sont bien les étoiles les plus chaudes de notre environnement.
3 Et le numérique dans tout cela
Adobe Bridge ou Lightroom brouteraient-ils, eux aussi, dans les pâturages de l’erreur ? Un peu d’observation, nous permet de comprendre rapidement que ce n’est pas le cas. Leur logique est non celle de la mesure mais, celle de la correction à appliquer.
En effet, les températures de couleur qu’ils affichent correspondent non à celle de l’image que vous regardez, mais à celle de la température de couleur du filtre à appliquer pour neutraliser ou atténuer la dominante de l’image en cours de tirage. Ainsi, pour un éclairage à la bougie, afin de neutraliser sa dominante rouge-orangée, Bridge suggère automatiquement d’apposer un filtre bleu de correction correspondant à une température de couleur de l’ordre de 5500 K et plus. Inversement, pour une photo prise avec une lumière, dite froide, ces logiciels suggèrent une correction avec une lumière dite chaude.
Ici, il ne s’agit pas de la température de couleur de la source d’éclairage de la scène, il s’agit de la correction à apporter pour corriger cette dominante. De plus, en ce qui concerne cette correction, il s’agit plutôt d’impression subjective pour retrouver la couleur de la peau qui reçoit un tel éclairage. Subjective parce que cette peau, selon le continent n’a pas la même couleur même si elle est blanche. —Le colonialisme nous attend toujours au coin du bois— La preuve ? Autrefois, la sensibilité des trois couches de la pellicule variait afin de matcher, pour reprendre un vocable à la mode, la couleur de la peau du dit continent. Cependant, ce n’est que tardivement que ces pellicules ont pris en compte les différentes variantes de peaux noires dont le noir est plus ou moins chaud puis, dans un troisième temps, les peaux asiatiques.
Donc la couleur comme référent dans le domaine des températures, a bien du sens. Seulement, tout comme pour les mots, il ne faut pas se tromper de référentiel et, ce dernier, bien souvent, nous est indiqué par le contexte. Dans le cas présent, quand nous parlons de couleur froide et chaude, il se pourrait bien que le référent, pour la couleur des robinets, soit la couleur de la peau humaine et non la température de couleur de la lumière ambiante ou encore de la flamme du gaz.
4 Épilogue
Est-il possible de parler de la couleur absolue ? Autant d’un point de vue perceptuel que d’un point de vue culturel, il n’existe pas, de couleur absolu comme le montre l’épisode des robinets et des couleurs froides ou chaudes.
L’œil ne perçoit qu’une couleur contextuelle. Son intensité, sa nuance n’existe qu’en relation aux autres couleurs de la scène. C’est pour cela que les aborigènes disposent d’un vocabulaire capable de distinguer une cinquantaine de nuances de rouge ou encore que les eskimos bénéficient d’un vocabulaire très étendu pour décrire les nuances de blancs. “ Snobisme ” de leur part, allez-vous me rétorquer. Non, simple question de survie.
De même, la couleur culturelle n’existe que dans un contexte, le rouge dans la mode, dans le monde de la sécurité (code de la route, pompier…) n’a pas la même signification.
Parler de la couleur dans l’absolu, c’est l’annihiler.
En cela la couleur rejoint des allégeances comme tu ne tueras point qui n’ont de sens que dans un contexte. Ainsi, tuer un allemand, en 1940, en France, dans la rue est un acte héroïque, aujourd’hui, ce n’est qu’un assassinat.
Certes une couleur se mesure, mais cette mesure n’en fait pas un absolu.
5 Et avant ?
En fait, avant le XVIIe siècle, la classification des couleurs en couleurs froides et chaudes et inconnues. Newton n’est pas encore là. Héritée d’Aristote, la classification la plus couramment utilisée place les couleurs sur un axe qui va de la couleur blanche à la couleur noire.
Le rouge est placé à mi-chemin, les textes médiévaux expliquent souvent que l’on obtient du rouge en mélangeant en quantité égale le blanc et le noir. Dans cette classification, tous les jaunes sont placés entre le blanc et le rouge. Le vert est proche du rouge. Pour cette classification, utilisée par l’Occident, pendant des siècles, juxtaposer le vert et le rouge constitue un contraste de couleurs faible. Quand au bleu et au violet, ils sont placés, près du noir.
Par conséquent, le violet n’est pas vu comme un mélange de bleu et de rouge, tout comme le vert n’est pas plus pensé comme un mélange de bleu et de jaune. En fait, pour ce classement selon la luminosité des couleurs choisies en référence, le classement d’Aristote pourrait s’apparenter à un classement des couleurs selon leur luminance. En creux, il met aussi en valeur, les liens intimes qui lient le classement des couleurs par Newton et la notion de couleurs froides et chaudes. En effet, les deux extrémités du spectre correspondent approximativement aux deux extrêmes des couleurs chaudes et froides.
5 Et avant l’histoire ?
« Les couleurs elles-mêmes avaient une signification différente de celles du système symbolique indo-européen. Le noir ne qualifiait pas la mort ou le monde souterrain ; c’était la couleur de la fertilité, celle des grottes humides et de la terre riche des entrailles de la déesse, là où commence la vie. En revanche, le blanc était la couleur de la mort, des os à l’opposé du système indo-européen, dans lequel le blanc et le jaune étaient les couleurs du ciel brillant et du soleil. En aucun cas la philosophie qui a produit ces images ne saurait être confondue avec l’univers pastoral indo-européen de dieux guerriers et de cavaliers, de cieux tonnants et brillants ou d’enfers marécageux, un système de pensée au sein duquel les déesses ne sont pas des créatrices mais des beautés, ’’Vénus" fiancées des dieux du ciel. » [1]
© Hervé Bernard
- Le bleu et l’aveuglement au bleu des Grecs, des Mayas... V10
- Aux origines de la couleur : l’opacité
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