Regard sur l’image

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- Mahmoud Kalari : La passion de filmer

,  par Hervé BERNARD dit RVB

Interview par Alain Coiffier pour l’AFC

Mahmoud Kalari, directeur de la photographie iranien, vit à Téhéran où il est né le 31 Avril 1951. Il est l’auteur des images de très grands classiques du cinéma de son pays : Gabbeh (Mohsen Makhmalbaf – 1995), Le Vent nous emportera (Abbas Kiarostami - 1999), Smell of Camphor, Fragance of Jasmine (Bahman Farmanara - 2000),Bab’Aziz (Nacer Khemir - 2006), Une séparation (Hasghar Farhadi – 2011), Le Passé (Hasghar Farhadi - 2013), Death of the Fish (Rouhollah Hejazi - 2015), et il est aussi le réalisateur de The Cloud of the Rising Sun (1997).

 « Dans ma famille, raconte Mahmoud, personne n’avait jamais vu un appareil photographique. J’ai découvert moi-même la photo dans le studio d’un photographe le jour où j’avais accompagné mon oncle pour son portrait de mariage. Je n’avais alors que 6 ans, mais j’avais trouvé mystérieux et fascinant qu’une machine puisse à la fois enregistrer notre image, et nous éterniser.

C’était mon premier contact avec la photo et cela devait marquer mon esprit.
Plus tard, durant mes études aux Etats Unis j’ai découvert et apprécié les travaux de Cartier Bresson, d’Eugen Smith et de Philip Jones Griffiths ; c’est lui qui m’a le plus inspiré à travers ses photos du Vietnam où il était correspondant de guerre. Ensuite j’ai eu la chance de rencontrer un des plus grands photographes du monde : André Kertesz, d’origine hongroise émigré en Amérique. Avec lui j’ai appris une autre dimension de la photographie : par-delà la photo de reportage, il m’a fait découvrir la photo-essai, la photo d’auteur en quelque sorte. Là tu regardes vraiment l’objet à photographier, intensément, et tu y ajoutes ton point de vue personnel, ta propre esthétique. Et cette juxtaposition crée une histoire, elle crée quelque chose qui ressemble déjà au cinéma même si ce n’est encore qu’une image fixe. Un ensemble de photos peut donner une dimension particulière à un évènement qui va bien au-delà de celle crée par une photographie unique. Cette expérience m’a apporté beaucoup aussi.

L’art de André Kertesz c’est justement celui de mettre en scène ses photos à partir d’une réalité.

Revenu en Iran, Mahmoud Kalari devient reporter lui aussi, il publie des images d’actualités, parfois risquées, et c’est après la victoire de la révolution iranienne, en 1979, après la prise de l’ambassade des Etats-Unis par les insurgés, qu’il est engagé en France par l’agence Sygma.

- Comment êtes-vous passé de l’image fixe à l’image animée, au cinéma ?
 Je n’avais pas pensé à devenir cameraman ; c’est arrivé par hasard. J’ai rencontré quelqu’un qui revenait de faire ses études aux Etats Unis, à UCLA, il s’appelait Jafari Jozani et Il voulait faire un long métrage de fiction. Il m’a proposé de devenir son chef opérateur et j’ai accepté.

C’était Frosty Roads (1985), Jadehay Sard en persan, un film dans la neige avec beaucoup de difficultés de tournage.

La même année, Mahmoud Kalari obtient le prix de la meilleure image pour ce film au festival de Téhéran.
 J’ai appris beaucoup de choses en me mettant à la disposition de jeunes réalisateurs. Surtout pour leurs premiers films. Je suis très heureux de ces expériences-là. Et parallèlement, pendant chacun de ces tournages, j’ai pu faire moi-même mes propres expériences.

 Vous avez travaillé aussi à l’extérieur de l’Iran. Par exemple pour le film Le passé de Hasghar Farhadi. (tourné principalement en studio à Paris) Est-ce que le travail est différent avec une équipe étrangère pour vous ?

 A mon avis, partout dans le monde travailler dans le cinéma c’est la même chose. Chacun doit travailler scrupuleusement et être très concentré. La différence vient de l’expérience, du talent de chacun et de sa conception du travail.

La façon de produire influence l’ensemble d’une œuvre. Nous, en Iran, on travaille généralement en décors naturels pour réduire le budget du film, mais nos équipes essaient de donner un maximum de résultats satisfaisants pour que le film ne soit pas impacté par les conditions de travail. Grosso modo, on y arrive.

La durée des tournages est très courte en Iran. Mahmoud Kalari tourne trois, quatre, jusqu’à six films par an dans un pays où le manque de moyens n’a pas empêché l’éclosion de filmographies riches et de talents reconnus internationalement.

 Vous avez beaucoup travaillé en pellicule 35mm, comment voyez-vous l’évolution du cinéma avec l’arrivée du numérique ?

 Ma génération a grandi avec le film, il est donc très difficile pour nous de l’abandonner. C’est un monde qui s’écroule, mais auquel on appartient. Nos salles de cinéma ont toutes démonté leurs projecteurs 35 et cela a conduit à ce qu’on doive adopter tous le numérique. Cela transforme les choses. Avant les réalisateurs ne pouvaient se fier qu’à leur viseur et ils devaient imaginer le cadre avant la prise de vue. Ils étaient obligés de l’enregistrer mentalement. Et quand on tournait on devait reproduire ce cadre qu’ils avaient imaginé. Avec le numérique le problème est résolu. Chaque réalisateur a son propre moniteur et il peut voir son cadre définitif avant et pendant qu’on tourne.

La durée des plans, la conception même de l’image, la post-production, tout est modifié par le numérique. Pour moi et pour ma génération, la pellicule 35mm nous manque vraiment beaucoup.

 Selon vous, qu’est-ce qu’un bon chef opérateur ?
 Je vais reprendre les propos de Sven Nykvist, le directeur photo de Ingmar Bergman. Il disait que un bon chef opérateur aide à la création d’un espace filmique au service du réalisateur. Quand je parle de l’espace filmique, cela concerne aussi bien le scénario que la recherche créatrice du réalisateur, son univers. Le scénario propose un monde devant vous. Il faut le sentir, le comprendre, et l’imaginer, puis il faut le mettre en images. En ce sens, une grande partie de la vraie réussite d’un film dépend du chef opérateur. Lorsqu’un film parvient à vous prendre par la main dans une salle et à vous conduire avec lui là où il veut, alors à ce moment le chef opérateur a réellement réussi dans son travail avec le réalisateur.

 Comment voyez-vous l’avenir de votre métier ?
 L’avenir de la prise de vue dépend de l’avenir du cinéma. Ils sont liés parce qu’ils se complètent. Le cinéma est né avec la prise de vue. Avant le cinéma, tout ce qu’on utilise aujourd’hui pour faire un film, existait déjà. Depuis bien longtemps, dans l’antiquité, dans la Grèce Ancienne, la mise en scène, les décors, le maquillage, et même l’éclairage, tout existait déjà. Des flambeaux et des miroirs étaient utilisés pour créer l’ambiance lumineuse dans les représentations théâtrales.
Ce qui fait l’essentiel du cinéma, c’est la naissance de la caméra de prise de vue. Depuis que les frères Lumières l’ont inventée, puis, qu’ils ont projeté un film en public, le cinéma est né.
Lorsqu’on parle de l’avenir de la prise de vue, on doit parler du cinéma, c’est cela qui définit tout.

Fiction ou réalité ? On s’y perd dans les images de Mahmoud Kalari dont la quotidienneté peut tromper.
Grâce à son talent, grâce à la fausse simplicité d’un langage visuel le plus souvent économe (pour répondre aux limitations d’une production aux moyens économiques restreints) le discours du réalisateur acquiert avec lui toute sa force. Mahmoud Kalari sait transposer dans un cinéma de fiction aussi bien la tendresse d’un visage que la violence de plans qui semblent issus d’un reportage. Ses images sont tellement vraies que la fiction inventée par le réalisateur devient réelle à nos yeux.
Ses images nous séduisent en recomposant la pureté du quotidien.
Mahmoud Kalari est un prince qui a deux royaumes. Le quotidien de son pays et la photographie.

Pour réaliser cet entretien, j’ai rédigé un questionnaire et c’est Koohyar, le fils de Mahmoud Kalari qui se consacre lui aussi à la prise de vue, qui l’a enregistré. Vous pouvez le retrouver en images sur le site de l’AFC.