Regard sur l’image

Accueil > Français > Image et société > Image et paysage > Le pairidaëza : paradis perdu — paradis retrouvé

- Le pairidaëza : paradis perdu — paradis retrouvé

,  par Hervé BERNARD dit RVB

« Tel est le génie du pairidaëza ; né du désert et imaginé pour le sable, il s’adapte aux saisons, aux désirs des peuples comme aux mouvements de l’Histoire. Il meurt ici et il renaît là. De morts en résurrections, il accompagne les civilisations. Il survit à la chute des empires, comme à la gloire et aux déclins des dynasties. Il se transforme. Il résiste aux révolutions, aux guerres. Les époques heureuses lui conviennent aussi. Pour différent qu’il soit du pairidaëza, le Jardin à la Française, avec ses élégances, ses perspectives, le miroir de ses jeux d’eau, respecte l’inspiration géométrique du jardin persan, même si les règles à calcul des assistants de Le Nôtre sont plus précises que celles de Cyrus. Les Jardins de Versailles obéissent à une géométrie volontaire. Ceux de la vieille perse célébraient une géométrie naturelle.

Peut-on déceler, sinon un plan commun à tous les jardins persans, du moins une même inspiration ? Il est clos par un mur de pierres sèches. Ce mur est essentiel. Il soustrait le jardin, le “ paradis ” aux remous fiévreux de l’Histoire. Il élève une barricade mystérieuse autour du beau jardin. Il fait de celui-ci une enclave de tranquillité et presque d’éternité dans laquelle s’apaisent les tourbillons, les chagrins et les fureurs du temps. Ses jardiniers privilégient le carré, parfois remplacé par le rectangle et divisent leur espace en quatre partie séparée par des ruisseaux ou des allées en saillie, qui sont les quatre fleuves du paradis. Au centre, coule la source. » [1]

« L’hétérotopie a le pouvoir de juxtaposer en un seul lieu réel plusieurs espaces, plusieurs emplacements qui sont en eux-mêmes incompatibles. C’est ainsi que le théâtre fait succéder sur le rectangle de la scène toute une série de lieux qui sont étrangers les uns aux autres ; c’est ainsi que le cinéma est une très curieuse salle rectangulaire, au fond de laquelle, sur un écran à deux dimensions, on voit se projeter un espace à trois dimensions ; mais peut-être est-ce que l’exemple le plus ancien de ces hétérotopies, en forme d’emplacements contradictoires, l’exemple le plus ancien, c’est peut-être le jardin. Il ne faut oublier que le jardin, étonnante création maintenant millénaire, avait en Orient des significations très profondes et comme superposées. Le jardin traditionnel des persans était un espace sacré qui devait réunir à l’intérieur de son rectangle quatre parties représentant les quatre parties du monde, avec un espace plus sacré encore que les autres qui était comme l’ombilic, le nombril du monde en son milieu, (c’est là qu’étaient la vasque et le jet d’eau) ; et toute la végétation du jardin devait se répartir dans cet espace, dans cette sorte de microcosme. Quant aux tapis, ils étaient, à l’origine, des reproductions de jardins. Le jardin, c’est un tapis où le monde tout entier vient accomplir sa perfection symbolique, et le tapis, c’est une sorte de jardin mobile à travers l’espace. Le jardin, c’est la plus petite parcelle du monde et puis c’est la totalité du monde. Le jardin, c’est, depuis le fond de l’Antiquité, une sorte d’hétérotopie heureuse et universalisante (de là nos jardins zoologiques). » [2]

Tapis jardin 18e siècle, V&A Museum

« Parallèlement au développement de l’artisanat nomade qui était celui du tapis, un autre art, sédentaire celui-ci, se développait. C’était l’art de faire des jardins ou « Pardis » en pahlavi, mot qui provient du mède « Paradaeza » et qui en persan, est devenu « Ferdows », « pardis » et « paliz », signifiant jardins, vergers, potagers et généralement toute surface couverte d’arbres et de plantes, et encloses par un mur. Ce fut probablement l’aridité des terres et les promesses de fertilité qu’elles offraient qui poussa ces nouveaux habitants du plateau iranien à intégrer la culture des terres dans leur civilisation, allant même jusqu’à lui donner une importante signification religieuse.

Ces jardins, ou bâghs tels qu’on les appelle toujours, furent souvent agencés selon une séparation quadripartite, nommée chahâr-bâgh, qui signifie « quatre jardins », et qui fut ordonnée par l’usage des canaux d’eau traversant le jardin, et par les espèces de plantes de chacun des quatre carrés. De plus, la division en quatre du jardin comportait une dimension symbolique de référence aux quatre éléments, bases de toute chose matérielle dans la pensée des Anciens. Outre cette référence, une seconde dimension mythique se rattachait à cette division. En effet, « selon de très anciennes traditions antérieures à l’islam, (dont on trouve des traces dans La Genèse), l’univers était divisé en quatre parties, séparées par quatre fleuves. » [3]

« Dans un des premiers chapitres, le livre du professeur Barbera évoque brièvement les sollazzi (’’divertissement’’) palermitins, c’est-à-dire les jardins que les Normands, qui avaient conquis l’île au XIIIe siècle, se faisaient construire par les jardiniers et les architectes arabes dans les environs de Palerme. ("Vous imaginez, m’avait dit Barbera lors de notre entretien, l’étonnement que durent éprouver ces barbares lorsqu’ils débarquèrent en Sicile et qu’ils découvrirent la douceur raffinée des demeures arabes, eux qui ne connaissaient que les guerres, les pillages et les sinistres manoirs du Nord...") Les plus beaux d’entre eux se trouvaient dans le quartie de la Zisa, le quartier d’Ignazzio d’Arpa justement. C’était celui que l’on appelait Genoard - déformation du mot arabe jannat al-ard, c’est-à-dire "paradis de la terre" » [4]

PS : Merci à Isabelle Baudelet, Text’styles pour la citation de Michel Foucault et celle de la Revue de Téhéran

- Les origines du paysage

Tapis persan représentant un chahar bagh 17e/18e siècle