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Regard sur l’image

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- La photographie, un art victime de ses légendes (1)

,  par Hervé BERNARD dit RVB

1 Une pratique de création instantanée
Photographier, c’est refuser l’instantané car la photographie est un moteur à deux temps construit sur le temps du regard :

 le temps d’avant le déclenchement, c’est-à-dire le temps du parcours de l’espace qui constituera la photo, dans le cas de la photo dite de reportage ou encore le temps de la reconstruction de l’espace avec la mise en scène pour la mise en scène. Ces deux temps, chez beaucoup de photographes étant plus ou moins confondus. En effet, attendre qu’une personne ou un objet mobile « soit bien placé » dans le cadre tient autant du parcours de l’espace que de la mise en scène ;

 le temps d’après le déclenchement. C’est-à-dire le temps du choix : de la sélection, du choix de l’interprétation de la photo sélectionnée.

L’instantané romantique de l’image et à fortiori de la photographie opposées à la pensée qui serait le fruit d’une longue et lente maturation est une légende. La photo, comme toutes les créations d’images est un art synthétique, c’est-à-dire un art de la synthèse, c’est pourquoi, c’est art de la durée. Chacune de nos photos est à la fois, synthèse du temps et du mouvement. Synthèse du moment où elle est réalisée et du temps de toutes les photos qui l’ont précédées. Synthèse du regard de son créateur avec celui de son lecteur.

Photographier, contrairement à cette légende, c’est bien au contraire travailler sur le temps de la durée : la durée de la recherche et de la création mais, aussi, la durée du regard de l’autre, celui du spectateur.

2 Un art mécanique
La photographie serait au mieux un artisanat mécanique : la mécanique du levier d’armement et du déclencheur, du miroir qui se relève, du rideau qui se déplace, de la pellicule qui se meut… Mais, nous oublions, quand nous acceptons ce discours, que toute cette mécanique est inopérante sans la chimie et la physique. Chimie du laboratoire, chimie et physique de la résistance des matériaux pour la pellicule, physique des ondes électromagnétiques de la lumière et de la circulation du signal, chimie et physique de la fabrication des composants électroniques.
Certes, la photographie c’est tout cela, mais cette définition mécanico-physique de la photographie conduit à mettre dans un même pot la photographie trace du land-art, la photographie outil de reproduction d’un tableau ou encore le travail de Henri Cartier-Bresson…

3 Petite parenthèse à propos d’une vieille rengaine, d’une vieille litanie : art mécanique—art manuel
« Parlant au nom de tous les peintres, sculpteurs et architectes, l’ottimo creatore —superlatif qu’on lui (Michel-Ange) accolait désormais — adjurait Cosimo de réparer une “injustice”. Le “discrédit” attaché, disait-il, à la pratique de la peinture, de la sculpture et de l’architecture, nuit au prestige de Votre duché. Les artistes, gent qui contribue le plus à sa gloire, ne sont pas considérés d’après leur importance et leur dignité. Selon une hiérarchie qu’il priait Son Excellence de bien vouloir réviser, l’usage de les cantonner dans la catégorie, subalterne et dédaignée, des “travailleurs manuels”— constituait de nos jours, à la suite des progrès accomplis, une absurdité flagrante.
[...]
Que seul ce qui est nécessaire pour comprendre la lettre de Michel-Ange soit rapporté ici. L’Université, expliqua Bronzino à son apprenti, distingue les arts en deux catégories, dans la première, dite “élevée” et noble domine de haut la seconde, déclarée “commune”. La cour, l’opinion, la coutume ont ratifié cette classification. À la première catégorie ressortissent les arts “libéraux”, la seconde regroupe ceux dits “mécaniques”. Les arts libéraux englobent les sept grandes grandes disciplines enseignées à l’Université : la grammaire, la dialectique, la rhétorique, la géométrie, l’arithmétique, l’astronomie et la musique.

 Pourquoi, demande Sandro, appelle-t-on ces arts : libéraux ?
 Parce qu’ils sont le propre de l’homme qualifié de libre.
 Et les autres ?
 Les autres se ressentent des conditions dans lesquelles travaillent ceux qui les exercent. Armuriers comme ton père, bouchers comme le mien, menuisiers, charpentiers, relieurs, tisseurs, tailleurs, chapeliers, potiers, cordonniers, corroyeurs, ferblantiers, forgerons, médecins, pharmaciens, tous travaillent en se servant de leurs mains, à la différence de ceux qui pratiquent les arts libéraux et se contentent de réfléchir, de spéculer.
 Mais les artistes ?
 Comme le rôle de la main et l’importance des outils sont essentiels dans le travail des peintres, des sculpteurs et des architectes, on les relègue eux aussi dans la catégorie inférieure des arts “mécaniques”.
 En somme, ce ne seraient que des praticiens, des exécutants ?
 En somme, ce ne seraient que des praticiens, des exécutants ?
 Des employés, presque des domestiques. Voilà exactement l’objet des doléances exposées par Michel-Ange au duc et le sens de ka supplique qu’il lui adresse.
[...]
Excellence, ce que je peins ou ce que je sculpte n’aurait pas d’existence si ma seule main y prenait part. En vérité, tout ce produit ma main n’est que l’aboutissement de ce qui c’est d’abord élaboré dans mon esprit. Sans l’opération intellectuelle qui la précède et en détermine le sujet, en clarifie l’intention, en prépare les modalités, le sujet, en clarifie l’intention, en prépare les modalités, parfois en précise jusqu’aux moindres détails, l’œuvre d’art n’existe tout simplement pas... [1] »

Rien de bien neuf sous le soleil.

- La photo, un art victime de ses légendes (2)