Regard sur l’image

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- L’image surréaliste

,  par Hervé BERNARD dit RVB

[…] Pierre Reverdy, écrivait :
L’image est une création pure de l’esprit. Elle ne peut naître d’une comparaison mais du rapprochement de deux réalités plus ou moins éloignées. Plus les rapports des deux réalités rapprochées seront lointains et justes, plus l’image sera forte — plus elle aura de puissance émotive et de réalité poétique… etc.
[…]
Il en va des images surréalistes comme de ces images de l’opium que l’homme n’évoque plus, mais qui «  s’offrent à lui, spontanément, despotiquement. Il ne peut pas les congédier ; car la volonté n’a plus de force et ne gouverne plus les facultés.  » Reste à savoir si l’on a jamais « évoqué » les images. Si l’on s’en tient, comme je le fais, à la définition de Reverdy, il ne semble pas possible de rapprocher volontairement ce qu’il appelle « deux réalités distantes ». Le rapprochement se fait ou ne se fait pas, voilà tout. Je nie, pour ma part, de la façon la plus formelle, que chez Reverdy des images telles que :
Dans le ruisseau il y a une chanson qui coule ou :
Le jour s’est déplié comme une nappe blanche ou :
Le monde rentre dans un sac
offrent le moindre degré de préméditation. Il est faux, selon moi, de prétendre que « l’esprit a saisi les rapports » des deux réalités en présence. Il n’a, pour commencer, rien saisi consciemment. C’est du rapprochement en quelque sorte fortuit des deux termes qu’à jailli une lumière particulière, lumière de l’image, à laquelle nous nous montrons infiniment sensibles. La valeur de l’image dépend de la beauté de l’étincelle obtenue ; elle est, par conséquent, fonction de la différence de potentiel entre les deux conducteurs. [...]

L’atmosphère surréaliste créée par l’écriture mécanique, que j’ai tenu à mettre à la portée de tous, se prête particulièrement à la production des plus belles images. […]

Hommage à Max Ernst / Reward to Max Ernst
Hervé Bernard, Hommage à ‘’ La ville entière ’’ Max Ernst (1935), cette peinture de Max Ernst est le seul ‘’paysage aztèques’’ que je connaisse.
De la série Hommage à ... Tribute to...

Les types innombrables d’images surréalistes appelleraient une classification que, pour aujourd’hui, je ne me propose pas de tenter. Les grouper selon leurs affinités particulières m’entraînerait trop loin ; je veux tenir compte, essentiellement, de leur commune vertu. Pour moi, la plus forte est celle qui présente le degré d’arbitraire le plus élevé, je ne le cache pas ; celle qu’on met le plus longtemps à traduire en langage pratique, soit qu’elle recèle une dose énorme de contradiction apparente, soit que l’un de ses termes en soit curieusement dérobé, soit que s’annonçant sensationnelle, elle ait l’air de se dénouer faiblement (qu’elle ferme brusquement l’angle de son compas), soit qu’elle tire d’elle-même une justification formelle dérisoire, soit qu’elle soit d’ordre hallucinatoire, soit qu’elle prête très naturellement à l’abstrait le masque du concret, ou inversement, soit qu’elle implique la négation de quelque propriété physique élémentaire, soit qu’elle déchaîne le rire. En voici, dans l’ordre, quelques exemples :

Le rubis du Champagne. Lautréamont. Beau comme la loi de l’arrêt du développement de la poitrine chez les adultes dont la propension à la
croissance n’est pas en rapport avec la quantité de molécules que leur organisme s’assimile.

Lautréamont.

Une église se dressait éclatante comme une cloche.
Philippe Soupault.

Dans le sommeil de Rrose Sélavy il y a un nain sorti d’un puits qui vient manger son pain la nuit.
Robert Desnos.

Sur le pont la rosée à tête de chatte se berçait.
André Breton.

Un peu à gauche, dans mon firmament deviné, j’aperçois — mais sans doute n’est-ce qu’une vapeur de sang et de meurtre — le brillant dépoli des perturbations de la liberté.
Louis Aragon.

Dans la foret incendiée, Les lions étaient frais.
Roger Vitrac.

La couleur des bas d’une femme n’est pas forcément à l’image de ses yeux, ce qui a fait dire à un philosophe qu’il est inutile de nommer :
« Les céphalopodes ont plus de raisons que les quadrupèdes de haïr le progrès. »
Max Morise.

« L’Union libre », André Breton, in Clair de Terre, 1931
Ma femme à la chevelure de feu de bois
Aux pensées d’éclairs de chaleur
A la taille de sablier
Ma femme à la taille de loutre entre les dents du tigre
Ma femme à la bouche de cocarde et de bouquet d’étoiles de dernière grandeur
Aux dents d’empreintes de souris blanche sur la terre blanche
A la langue d’ambre et de verre frottés
Ma femme à la langue d’hostie poignardée
A la langue de poupée qui ouvre et ferme les yeux
A la langue de pierre incroyable
Ma femme aux cils de bâtons d’écriture d’enfant
Aux sourcils de bord de nid d’hirondelle
Ma femme aux tempes d’ardoise de toit de serre
Et de buée aux vitres
Ma femme aux épaules de champagne
Et de fontaine à têtes de dauphins sous la glace
Ma femme aux poignets d’allumettes
Ma femme aux doigts de hasard et d’as de coeur
Aux doigts de foin coupé
Ma femme aux aisselles de martre et de fênes
De nuit de la Saint-Jean
De troène et de nid de scalares
Aux bras d’écume de mer et d’écluse
Et de mélange du blé et du moulin
Ma femme aux jambes de fusée
Aux mouvements d’horlogerie et de désespoir
Ma femme aux mollets de moelle de sureau
Ma femme aux pieds d’initiales
Aux pieds de trousseaux de clés aux pieds de calfats
qui boivent

[…]