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Regard sur l’image

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- Comment la peinture renouvelle un questionnement philosophique ? V2

,  par Hervé BERNARD dit RVB

Ou comment trois œuvres qui jalonnent l’histoire de la peinture et posent la question du choix entre le spirituel et le matériel évoquent et répondent à cette question. Ces trois œuvres sont :
- la mosaïque située sur la conque de l’abside de l’Église de Germigny-des-Près, dans le Loiret ;
- le tableau de Raphaël présentant Platon et Aristote, l’un désignant le sol et l’autre le ciel ;
- le tableau stéréoscopique de Salvador Dali reprenant la peinture de Raphaël.

Outre ce questionnement, ces trois images se situent simultanément à la croisée des chemins de l’histoire de l’art. La première parce qu’elle pointe l’influence de l’Art Byzantin en Europe notamment à travers le monde Carolingien dont elle est, de nos jours, l’un des rares représentant.

La seconde parce qu’elle est une œuvre de la Renaissance et donc au centre de la naissance de l’individu. Quant à la troisième, elle est produite par l’un des peintres qui a le plus interrogé les liens entre la figuration et la représentation. En effet, toute la peinture de Dali à de rares exceptions comme le tableau sur la pêche au thon représente quelque chose mais ne figure jamais la réalité. Même les portraits de Gala interrogent la relation figuration-représentation. Ainsi, le tableau intitulé Crucifixion au-dessus de Cadaquès re-présente la question de la crucifixion, c’est-à-dire la présente à nouveau. En effet, en faisant planer cette croix au-dessus de sa plage natale, Salvador Dali nous amène à nous interroger sur cette image de la rédemption. Cette croix est-elle salvatrice ou plane-t-elle au-dessus de nous tel un aigle qui va fondre sur sa proie ou encore comme un vautour qui se nourrit des entrailles des mortels ?

Comment ces trois œuvres renouvellent ce questionnement ? Dans la première, la question est posée par des anges ; la réponse attendue est donc religieuse, dans le second la question est posée par des philosophes classiques ayant précédé le christianisme, la réponse attendue est donc de l’ordre de la pensée humaine, de la philosophie, de la raison pour employer un mot qui sera propulsé au pinacle au XVIIIe siècle.

Quant à la troisième œuvre, la question est posée apparemment par des philosophes puisque Dali recopie fidèlement l’œuvre de Raphaël. Cependant, il lui apporte une modification qui de prime abord peut apparaître comme anecdotique : cette œuvre est une installation stéréoscopique. A notre sens, cette stéréoscopie est fondamentale car elle introduit la réponse du peintre. Par la stéréoscopie, il nous rappelle que la philosophie ne contient qu’une partie de la réponse. En effet, l’image stéréoscopique est d’abord une sensation. Par conséquent, cette autre volet de la pensée humaine : les sensations contiennent elle aussi une part de cette réponse. (Nous sommes au début du XXè siècle les recherches sur la perception prennent un nouvel élan.) Cependant, dans cette installation stéréoscopique, la perception du relief est perturbée. En effet, l’une des copies du tableau de Raphaël se voit ajouter des cercles tandis que sur l’autre on remarque des rectangles de couleurs. Cet ajout des cercles et des rectangles interdit la perception de ce relief. En effet, quand l’image de gauche et l’image de droite d’une scène sont dissemblables, le cerveau ne peut plus interpréter la scène en relief, il est condamné à voir alternativement l’image de gauche puis, l’image de droite. L’addition de ces deux images pour produire l’effet de relief devient impossible. Donc, la stéréoscopie et la perturbation du relief contiennent à notre sens, la réponse que Salvador Dali apporte à cette question. Et cette réponse pourrait être un constat : ce choix est impossible. L’homme est un être constitué par le spirituel (religieux et intellectuel) et par sa contingence matérielle. Comment Salvador Dali nous indique cela ? en perturbant notre vision du relief, c’est-à-dire en nous faisant voir alternativement la peinture de gauche et celle de droite pour nous préciser que tout comme il nous est impossible d’additionner ces deux images, il nous est impossible de choisir entre le matériel et le spirituel.

Épilogue
« On ne comprend pas les choses au sens traditionnel du terme, on les assimile par le regard. C’est une expérience inédite. » [1]

© Hervé Bernard 2009