« Ce n’est pas seulement pour agir, mais aussi quand nous n’avons nullement l’intention d’agir, que nous préférons, pour ainsi dire, la vue à tout le reste. »
Aristote, ouverture du premier chapitre du livre A de sa Métaphysique
Déjà un premier tour de manège pour l’image simplificatrice ! Ne pourrait-on pas dire la même chose de l’ouïe qui nous berce de sons mélodieux que nous écoutons souvent pour le seul plaisir des oreilles voire sans y prêter réellement attention ?
Pour la Grèce Antique, l’image réfléchit la réalité, elle en est le miroir et de par cette qualité refuse de prendre parti, seulement les anciens grecs, tout comme nos contemporains, oublient un détail à moins qu’ils ne le considèrent comme secondaire : le miroir, inverse la droite et la gauche et cette inversion est une prise de position. Être une image produite par un miroir, c’est opter pour un camp, celui des inverseurs. L’inverse, c’est l’opposé, le contraire. Inverser, c’est donc opter pour une forme de contradiction, ce n’est donc déjà plus présenter la réalité.
Autre axe de cette ambivalence, dans la Grèce Antique, phantasia : renvoie à une perception, à l’image sensible de ce que nous avons vu, c’est-à-dire l’image que nous avons regardé de nos propres yeux ; l’illustration, au sens de mise en lumière, la plus exacte représentation de la phantasia dans la peinture pourrait-être l’œuvre de Peter Klasen.
Quant à la phantasma, elle représente l’image sensible de ce que nous n’avons pas expérimenté, l’image imaginée ; avec Salvador Dali, la peinture dispose l’un des plus grands modèles de phantasma mais Borges ou Umberto Ecco avec Le nom de la Rose pour ne citer que ce roman en sont des exemples littéraires tout aussi puissant.
Dans quelle mesure Les Rougon Macquart ne sont-ils pas un autre exemple de phantasma bien que ces livres soient le fruit, pour l’essentiel, d’un travail documentaire et non issus de l’expérience personnel de Zola. Alors appartiennent-ils à la phantasia ou au phantasma ? Tout comme la première catégorie, les Rougon Macquart sont le résultat, la synthèse de l’expérience de personnes qui ont réellement vécues les transformations économiques et sociologiques relatées par cette saga. Cependant, ces évolutions représentent une image imaginée par Émile Zola.
Curieusement, la phantasia donnera la fantaisie tandis que la phantasma donnera naissance au phantasme, une image imaginaire. Reste que la dérive du sens du premier est étrange puisque de l’image de ce que l’on a vu, on en viendra à agir à sa guise, selon sa fantaisie....
Quant au titre, apparu au Moyen-Âge ce mot lors de ses premières apparitions (seconde partie du XIIe siècle) désigne les inscriptions présentes sur un tombeau, curieuse origine pour un mot destiné à désigner l’essentiel d’un livre ou encore à nommer un tableau et en cela servir de référent encore que le nom d’une personne sur son tombeau comme le titre du tableau ou du livre désignent à leur manière un essentiel, c’est-à-dire le contenu de ce tombeau, de ce livre ou de ce tableau. C’est peut-être cette communauté de l’essentiel qui explique cette évolution fulgurante du sens.
En effet, sa première utilisation dans son acceptation contemporaine : le titre d’un ouvrage, date de 1200 et dès 1225 ce terme désignera les subdivisions d’un ouvrage. Simultanément, à partir du XVIe siècle, le titre désignera les « qualités, capacités, services, travaux qui donnent droit à quelque chose » ; définition qui aboutira au titre de noblesse mais aussi au titrage en alcool d’une boisson ou en or d’un alliage. Le titre d’un ouvrage désignerait-il aussi ses qualités, capacités ou encore des travaux qui donnent droit à quelque chose ?
© Hervé Bernard 2015
– Regard sur l’image
Un ouvrage sur les liens entre l’image et le réel.
350 pages, 150 illustrations, impression couleur, Format : 21 x 28 cm
EAN 13 ou ISBN 9 78953 66590 12
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